Laurence Freeman OSB, “Réflexion du jeudi de carême”, Semaine 3, 19 mars 2020, publié sur www.wccm.org
Parfois, lorsque nous sommes contraints à quelque chose et que nous nous sentons emprisonnés par une force extérieure froidement impersonnelle, nous pouvons nous enflammer de rage ou sombrer dans la dépression. Et pourtant parfois, juste parfois si nous avons de la chance, l’expérience de la contrainte nous libère et nous permet d’avoir une vision nouvelle et surprenante de la réalité. Nous rencontrons quelque chose d’inattendu, une grâce cachée qui n’aurait pas pu nous rejoindre autrement.
Dans la méditation aussi, il y a des moments où nous sommes assis dans un désert, secs et sans cesse distraits par nos angoisses ou nos pertes. Une désolation vide s’étend aussi loin que nous pouvons le sentir dans toutes les directions. Nous pensons qu’il vaut mieux faire quelque chose d’utile ou d’agréable. La solitude n’est pas l’espace ouvert dans lequel nous nous sentons reliés à un ensemble plus grand, mais un isolement, une contrainte, un abandon ou le sentiment d’être oublié. Le spectre de la tristesse hante notre âme.
Puis, d’un point intérieur, sans localisation, un rayon de lumière invisible touche et redonne vie et espoir à notre âme desséchée. Non pas que tous nos souhaits soient exaucés, il se peut même qu’aucun ne le soit et que la douleur ou la perte soient encore trop présentes. Mais une joie émerge qui ouvre un chemin vers la source de l’être, de notre être.
Après la méditation
Denise Levertov, “Sojourns in the Parallel World”, The Life around us: Selected Poems on Nature (New York: New Directions, 1997), pp. 75-6. Notre vie est faite de passions humaines, de cruautés, de rêves, de concepts, de crimes et d’exercice de la vertu dans et à côté d’un monde dépourvu de nos préoccupations, libre de toute appréhension – bien qu’affecté, certainement, par nos actions. Un monde parallèle au nôtre, mais qui se chevauche. Nous l’appelons la “Nature” ; nous n’admettons qu’à contrecœur que nous sommes aussi la “Nature”. Chaque fois que nous perdons la trace de nos obsessions, de nos préoccupations personnelles parce que nous dérivons pendant une minute, une heure même, de réponse pure (presque pure) à cette vie insouciante : nuage, oiseau, renard, flux de lumière, pèlerinage dansant de l’eau, vaste immobilité d’éphémères envoûtés sur une vitre éclairée, voix d’animaux, bourdonnement minéral, vent conversant avec la pluie, océan avec le rocher, bégaiement du feu sur le charbon – alors quelque chose d’attaché en nous, entravé comme un âne sur sa parcelle d’herbe rongée et de chardons, se libère. Personne ne découvre où nous avons été, lorsque nous sommes rattrapés dans notre sphère (où nous devons retourner, en effet, pour faire évoluer nos destins) – mais nous avons changé, un peu.