Deuxième semaine de l’Avent, par Laurence Freeman 

Je me promenais un jour dans la brousse australienne. Au moment de traverser un ruisseau, en faisant attention à bien poser le pied sur les rochers et en baissant les yeux j’ai aperçu un minuscule être étrange qui me regardait d’un air curieux tout en restant sous l’eau. J’ai eu un choc mais je n’avais pas peur et j’ai reculé pour mieux le voir. Mais il avait disparu et j’ai compris (non sans une certaine tristesse) que c’était une illusion d’optique et que je l’avais imaginé.

Les dieux ont quitté l’humanité il y a fort longtemps. Ils ont été bannis par la science et ont disparu à mesure que se développait la connaissance de notre propre inconscient. Nous pouvons faire mieux au stade actuel de notre évolution que d’essayer de récupérer les anciens dieux. En leur absence le monde est peut-être plus terne. Cependant la nouvelle donne, la nouvelle alliance dont nous préparons la célébration de la naissance, expulse les peurs qu’on associe à l’ancien ordre. Le monde est plus libre, la relation avec le divin a muri. A cet égard il nous faut attendre dans une espérance joyeuse même en face de l’absence, même en face du vide. Nous attendons sans images, nous ressentons la présence réelle qui se manifestera en toutes choses, partout et toujours.

L’humanité est remplie en permanence de cette présence. Une grossesse humaine normale apprend aux futurs parents que l’attente n’est pas la même chose qu’un retard ou un report. C’est une préparation, une maturation. La vraie patience nous apprend que seul le temps conquiert le temps. Or, il n’y a pas lieu d’être impatient pendant qu’une nouvelle forme de vie grandit dans n’importe quel ventre. Pendant que le mystère grandit, la vie ordinaire continue, on fait les courses et la cuisine, on s’occupe des artisans, on bavarde avec ses amis. Pourtant « tout le temps la semence germe et grandit, sans qu’on sache comment… » (Mc 4 : 27). Attendre dans la fidélité à ce qui grandit, c’est bien cela l’instant présent.

Quand la naissance a lieu, l’émerveillement de l’achèvement s’accompagne de l’angoisse à avoir à s’occuper de ce qui existe désormais pour être aimé mais qui reste si vulnérable et si fragile. Une nouvelle vie est résiliente bien que périlleusement fragile. La naissance annonce alors la fin des préparatifs et en même temps le début d’une série sans fin d’étapes de croissance. « Epiktesis » (Phil 3, 13) en grec veut dire « se porter vers ce qui est en avant ». Voilà qui définit la vie spirituelle, il n’existe pas d’objectif final autre que de transcender tout objectif dès qu’il a été atteint. Cela peut sembler lassant mais c’est le secret de l’expansion infinie et illimitée de l’amour. Il se reflète dans la pratique continue du mantra.

Ceux qui découvrent la méditation dans un esprit axé sur des objectifs à court terme, en parlent souvent comme d’un « outil ». Ceux pour qui elle est devenue une façon de vivre, un chemin vers une vie plus profonde, pensent que c’est une relation qui dure, une histoire d’amour. Le poète Rilke évoque « la distance infinie qu’il y aura toujours entre deux êtres humains » et demande au sujet des amants s’ils « ne découvrent (…) pas sans cesse, l’un dans l’autre, les bords de leurs abîmes intérieurs ? »

La vie et l’Avent nous confirment que le mariage de l’infini et de l’intimité est bien l’Incarnation, la pleine incarnation.

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