Laurence Freeman o.s.b., La parole du silence, « Le pouvoir de l’attention », Le Jour, éditeur, 1995, p. 50-53
Le grand danger, qui a toujours existé mais qui est particulièrement évident aujourd’hui dans notre société narcissique et préoccupée par son image, est de confondre introversion, fixation sur soi et auto-analyse avec la véritable intériorité. Les blessures psychologiques et l’aliénation sociale, des états très largement répandus, exacerbent ce danger tout en réclamant un traitement fait de douceur et de compassion… La vraie intériorité est l’opposé de l’introversion. Lorsque nous sommes éveillés à la présence qui nous habite, notre conscience est retournée, convertie, de sorte que nous ne nous préoccupons plus de nous-mêmes […] en anticipant ou nous remémorant des sentiments, des réactions, des désirs, des idées ou des rêves éveillés, mais nous nous tournons vers quelque chose d’autre, et c’est toujours, pour nous, un problème.
Il serait plus facile, croyons-nous, de se détourner de l’introspection si nous savions vers quoi nous nous tournons. Si seulement nous pouvions fixer notre attention sur
un objet précis. Si seulement Dieu pouvait être représenté par une image. Mais Dieu, le vrai, ne peut jamais être une image. Les images de Dieu sont des dieux. Une image de Dieu ne nous conduit finalement qu’à contempler une image réaménagée de nous-mêmes. Être vraiment intériorisé, ouvrir l’oeil de son coeur, c’est vivre dans la vision sans image qu’est la foi ; c’est cette vision-là qui nous permet de « voir Dieu ».
Dans la foi, l’attention est contrôlée par un nouvel Esprit, elle n’est plus soumise aux esprits du matérialisme, de l’égoïsme et de l’instinct de conservation, mais à l’ethos de la foi qui est par nature dépossession. Nous devons continuellement lâcher-prise, renoncer aux gratifications du renoncement qui sont immenses et donc d’autant plus nécessaires à abandonner… On peut avoir un aperçu [de cet Esprit] en pensant simplement à ces moments ou phases de notre vie où nous nous sommes sentis au comble de la paix, de la plénitude et de la joie, et en reconnaissant que ce furent des moments où nous ne possédions rien, mais où nous nous étions oubliés en quelque chose ou quelqu’un. Le passeport pour le Royaume exige le cachet de la pauvreté…
Cependant, apprendre à être centré sur l’autre est une discipline. Elle fait de nous des disciples, et implique une ascèse. Il n’y a rien de plus difficile que d’apprendre à détourner l’attention de soi-même… Nous n’avons que trop tendance à laisser notre attention vagabonder, à revenir à la conscience-de-soi, au souci de sa petite personne, et à l’état de distraction. Ainsi il nous faut découvrir une vérité simple. Lorsque notre attention est en Dieu, avec la vision de la foi, tout nous révèle Dieu.
Après la méditation
Martin Laird, Into The Silent Land: The Practice of Contemplation, « Épilogue », Darton, Longman and Todd, Londres, 2006, p. 141-142.
« Dis-moi, demanda le P. Alype, quelle est la substance de tout ce bavardage et ce chaos dans ta tête ? »
Le jeune homme répondit : « C’est juste de l’écume ».
« C’est exact, reprit le P. Alype. Tu vois comme c’est simple ? Ce n’est ni spécial ni raffiné. Ce n’est pas parce que tu psalmodie sans t’arrêter depuis neuf heures ou que tu jeûnes depuis trois semaines. Ces… stratégies sont inutiles parce que c’est accompli depuis toujours. Quand tu vois que tu es emporté dans les tempêtes du chaos, du bavardage intérieur et du commentaire mental, demande-toi : « Qui suis-je ? ». Demande : « Qui fait l’expérience du chaos ? Qui bavarde ? Qui est le commentateur ? » Tu ne trouveras là personne en train de vérifier si tu es emporté dans des pensées. Quand tu ramènes ton attention de l’objet de ta conscience à la conscience elle-même, il n’y a plus que l’ouvert silencieux et vaste qui n’a jamais été blessé, molesté, en colère, effrayé, incomplet. Ceci est qui tu es. »