Extrait de Laurence Freeman osb, Un Monde de silence, « Onzième lettre », Le Jour éditeur, 1998, p. 169.
De temps en temps, par la grâce, la foi et la simplicité du mantra, nous sommes conduits à une paix, une équanimité profonde. Notre existence consciente devient harmonieuse, elle reflète, depuis le tréfonds de notre être, la sérénité et la joie de la vie ressuscitée du Christ. Corps, mental et esprit sont parfaitement accordés, à l’exemple d’un couple qui, après maintes querelles retrouverait l’amour et la bonté sur lesquels est bâtie leur relation. Le mental voit s’évaporer brusquement ses interminables monologues intérieurs et les anxiétés où il se complaît, calmés comme par miracle. Il devient silencieux, stupéfait devant sa propre capacité à se taire (sans se douter, peut-être, que cette simple pensée signifie qu’il n’est pas encore totalement immobile !) et à lâcher ses peurs et désirs compulsifs…
Mais à d’autres moments, sans doute fugitifs, nous sortons entièrement de nous-mêmes. Nous ne dormons pas, mais nous ne sommes pas non plus éveillés au sens habituel. En comparaison, notre état de veille ordinaire ressemble plus à un rêve qu’à autre chose. Si notre conscience est aussi claire, c’est parce que le « je » qui veut en jouir a disparu.
« Je ne vis plus, mais le Christ vit en moi. » Saint Paul, en décrivant ainsi son état transpersonnel, de dépassement de l’ego, est-il un bouddhiste ou un panthéiste ? Qui était le Je qui ne vivait plus ? Qui est le moi où ne vit plus que le Christ, image parfaite du Dieu invisible ? Questions importantes, questions sans fin. Cependant, on ne se les pose qu’après l’événement, car tant que dure l’état d’union, toute question, toute pensée, est consumée par la pure présence de « Celui qui est vraiment »… Puis nous retournons à la réalité ordinaire pour retrouver aussitôt notre dernière pensée : soif, découvert bancaire, problèmes des enfants, etc. Très vite, nous sommes à nouveau plongés dans le monde de pensées habituel. Dieu devient un but que nous essayons d’atteindre ou de comprendre, ou un souvenir dont nous avons la nostalgie, plutôt que le JE SUIS de l’amour qui inonde le tréfonds de l’être.
Après la méditation
W. S. Merwin, « To myself », Present Company, Port Townsend WC, Copper Canyon Press, 2005, p. 132 (traduction DL)
À moi-même
Même quand je t’oublie
je continue de te chercher
je crois que je te connaissais
sans cesse je me souviens de toi
parfois il y a longtemps et puis
à d’autres moments je suis sûr que tu
étais ici il y a un instant
et l’air est toujours plein de vie
à l’endroit où tu étais et je
me dis alors que je peux te reconnaître
toi qui es toujours le même
qui feins d’être le temps mais
tu n’es pas le temps et qui parles
dans les mots mais tu n’es pas
ce qu’ils disent toi qui n’es pas
perdu quand je ne te trouve pas