Laurence Freeman, osb, extrait de Jésus le Maître intérieur, chap. 11 « Le Labyrinthe », Albin Michel, 2002, p. 295.
Si nous voulons embrasser l’éternité de la plénitude de l’être (le JE SUIS de Dieu), nous devons d’abord affronter l’âpre réalité de l’impermanence et du vide. La tentation est toujours de réduire l’intensité, de se laisser aller à un moindre degré de conscience, de s’endormir même. Le Bouddha mettait en garde contre l’envie d’assombrir le mental, à ce stade comme à n’importe lequel du cheminement, avec des stupéfiants ou des sédatifs, des excitants ou des tranquillisants. Jésus exhortait chacun à rester pleinement conscient :
« Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment… Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin, de peur qu’il n’arrive à l’improviste et ne vous trouve en train de dormir. Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez. » (Mc 13, 33-37)
Dans la lettre aux Éphésiens, Paul écrit que cet état de vigilance confère des « pouvoirs spirituels de sagesse et de clairvoyance » et conduit finalement à la gnosis, la connaissance spirituelle. Mais même avec la foi la plus vigoureuse, la tristesse de l’état de séparation ne se dissipe pas immédiatement, alors même que la sagesse commence à resplendir. Le mur de l’ego paraît se dresser comme un obstacle infranchissable, un cul-de-sac n’offrant aucune issue. Or, la Résurrection nous rappelle que ce que l’on pressent comme étant une fin n’en est pas une. En affrontant notre égoïsme invétéré et en reconnaissant sa lente disparition, la méditation nous aide à constater la réalisation de notre propre résurrection dans notre vie.
La loi de la nature inférieure, du karma, et la domination contraignante de l’ego s’imposent jusqu’à ce qu’un trou apparaisse dans le mur. D’abord, c’est une brique qui est arrachée, comme par une main invisible, et nous entrevoyons un panorama qui dépasse tout ce que nous croyions connaître ou être capables de connaître. C’est une expérience, et pourtant, elle est connue d’une manière différente de tout ce que nous avons connu jusque-là. Nous ne sommes plus le simple individu que nous pensions être. La vie est modifiée de manière irréversible. Nous vivons et cependant, comme Saint Paul, nous ne vivons plus.
Je suis parce que je ne suis pas.
Après la méditation
Anne Porter, “Musique” dans Living Things: Collected Poems, Hanovre, NM: Zoland Books, 2006, pp. 54-55.
Lorsque j’étais enfant,
Je me mis à sangloter assis par terre
A côté du piano de ma mère
Qui jouait et chantait
Car il y avait dans son chant
Une gloire timide mais solennelle
Que ma petitesse ne pouvait contenir
Et lorsqu’on m’a demandé
Pourquoi je pleurais
Je n’avais pas de mots pour le dire
Je secouai seulement la tête
Et continuai à pleurer
Pourquoi la musique la plus belle
Ouvre-t-elle une blessure en nous
Une douleur, une affliction
Profondes comme la nostalgie
De quelque pays lointain
Et à moitié oublié
Je n’ai jamais compris
Pourquoi il en est ainsi
Mais il existe une vieille légende
De l’autre côté du monde
Qui délivre le secret
De ce chagrin mystérieux
Pendant les siècles des siècles
Nous avons erré
Mais nous avons été faits pour le paradis
Comme le cerf pour la forêt
Et quand nous vient la musique
Avec sa beauté céleste
Elle nous apporte l’affliction
Car lorsque nous l’entendons
Nous nous rappelons un peu
De ce pays natal perdu
Faiblement nous nous rappelons les champs
Leur trèfle parfumé caressé par le vent
Les chants d’oiseaux dans les vergers
Les violettes sauvages blanches dans la mousse
Au bord de ruisseaux transparents
Et resplendissante au cœur de cela
Se trouve la beauté tant attendue
De Celui qui nous attend
Qui toujours nous attendra
Dans ces prairies radieuses
Mais qui est aussi venu vivre avec nous
Et qui erre où nous errons.