Laurence Freeman OSB, extrait de la lettre du Bulletin trimestriel de la CMMC, 2011-2.
Nous pouvons lâcher prise sur nos soucis et notre anxiété, comme Jésus nous le conseille dans son enseignement sur la prière. Ces anxiétés se manifestent à plusieurs niveaux : les petits ennuis quotidiens qui passent avec une bonne nuit de sommeil, les pertes qui sont encore terriblement présentes au réveil, les schémas comportementaux plus profonds de notre caractère qui ont leurs racines dans la mémoire préconsciente. Le travail de la sagesse et du pardon commence dès que nous prenons du recul par rapport à eux et que nous arrêtons d’en rejeter la faute sur le monde entier, nos parents ou nos ennemis, et que nous prenons conscience que nous sommes le problème. Cette première étape sur le chemin d’une spiritualité adulte peut prendre des années. Cependant, une fois cette étape franchie, nous sommes capables de discerner les différents niveaux de souffrance et d’insatisfaction sur lesquels nous devons travailler, ceux que nous pouvons gérer nous-mêmes, ceux pour lesquels nous devons demander de l’aide et ceux que nous devons tout simplement transcender.
La méditation aiguise et accélère ce discernement. Dans toutes les traditions, on considère que la prière profonde, silencieuse, non conceptuelle, est au cœur de la foi et donne accès à l’union avec Dieu. Pour les soufis, le « dhikr », ou souvenir de Dieu, s’obtient par la répétition du nom de Dieu. Dans sa simplicité, il contient, dit-on, toutes les formes de prières et « nous libère de tout malaise et de toute confusion ». […] Le commandement d’amour de Jésus – pour Dieu, le prochain et soi-même – et le ton d’urgence de son enseignement se traduisent par la vigilance avec laquelle nous portons une attention absolue à Dieu. Nous pouvons alors vendre volontiers tout ce que nous possédons dans la joie de trouver le trésor du Royaume enseveli dans notre cœur.
Néanmoins nous sommes facilement submergés par les soucis de la vie. Ils peuvent nous rendre égocentriques, négligents, insensibles, ignorants et stupides. Nous oublions que Dieu existe. Nous ne nous intéressons pas aux besoins de notre prochain, nous perdons toute capacité d’émerveillement. Nous marchons vers la tombe comme des somnambules. L’ascèse – le travail spirituel – est le traitement de l’homme accablé de soucis. Elle nous apprend à gérer les problèmes et à vivre libres malgré eux. Elle dissout la dureté de cœur en nous rendant plus sensibles et plus à l’écoute, plus ouverts à la beauté du monde et aux besoins des autres, y compris de ceux qui prennent avec avidité avant d’avoir demandé. L’ascèse, comme notre méditation biquotidienne, transforme l’énergie bloquée dans l’ego et les schémas négatifs de pensées et de comportement. Sagement, nous parvenons à accepter le fait que, dans cette vie de soucis, nous n’aurons jamais tout ce que nous voulons. C’est alors que la libération émerge, quand nous acceptons que le vrai problème ne réside pas dans le non-avoir mais dans le désir d’avoir.
Après la méditation
Gary Snyder, The Trail is not a Trail, Left out in the Rain: North Point Press, 1986 ; publié dans The Writer’s Almanac du 24/09/11.
J’ai roulé sur la voie rapide
Et bifurqué à une sortie
J’ai emprunté une autoroute
Jusqu’à ce qu’elle arrive à une route secondaire
J’ai remonté la route secondaire
Jusqu’à ce qu’elle se transforme en un chemin de terre
Plein de bosses, et je me suis arrêté.
J’ai suivi un sentier
Mais la piste est devenue difficile
Et s’est évanouie
À l’air libre,
Où aller partout.